Dans la famille des femmes écrivains au Japon,
je demande « la francophone » :
Aki Shimazaki (3/3)
Je termine ici la série entamée par notre très chère Maud sur les femmes écrivains au Japon ! Après Banana Yoshimoto et Yôko Ogawa, je voulais vous parler d’une femme très spéciale, qui m’a totalement séduite par son écriture et son univers.
Née au Japon en 1954, elle part en 1981 au Canada, puis à Montréal, au Québec en 1991. C’est la plus francophone des Japonaises ! En effet, les livres que je vais vous présenter ont été directement écrits par l’auteur…en français. Et c’est sublime !
Durant sa jeunesse, elle développe une passion peu commune pour la littérature, pendant qu’elle travaille comme éducatrice de jeunes enfants dans une école maternelle. Aujourd’hui, elle vit toujours à Montréal où elle exerce ses talents d’écriture tout en donnant des cours de japonais.
Son œuvre a été couronnée de nombreux trophées :
Tsubaki (1999) : finaliste du Prix Littéraire de la Ville de Montréal 1999 et du Grand Prix des lectrices Elle Québec 2000.
Hamaguri (2000) : prix Ringuet 2001, finaliste pour le Prix des Cinq Continents de la Francophonie 2001.
Hotaru (2004) : Prix du Gouverneur-Général en 2005, le Prix Canada-Japon pour Wasurenagusa en 2004.
A la bibliothèque, nous avons une pentalogie, la première de l’auteur, intitulée « Le poids des secrets », avec dans l’ordre : Tsubaki (1999), Hamaguri (2000), Tsubame (2007), Wasurenagusa (2008) et Hotaru (2009). Chaque titre est en fait un nom commun japonais qui sert de fil rouge à tout le récit. Aki Shimazaki excelle dans la forme brève, on oscille entre la nouvelle et le roman.
Tsubaki (= « camélia »). Yukiko a survécu à la bombe atomique tombée sur Nagasaki. Son père en est mort sur le coup, sa mère quelques années plus tard à cause des radiations. Yukiko vient de décéder, à un âge avancé, et la narratrice, sa fille Namiko, doit s’occuper des obsèques. Mais sa mère lui a laissé deux lettres, une pour elle et une autre pour un certain Yukio, le demi-frère de Yukiko ! Namiko n’avait jamais entendu parler de cet homme ! Mais Namiko n’est pas au bout de ses surprises (et le lecteur non plus) car sa mère portait en elle de nombreux et lourds secrets…
Hamaguri (= « palourde japonaise »). Nous voilà dans la tête de Yukio, vous savez, le fameux demi-frère dont on nous parle dans le tome 1 ! On découvre son point de vue et sa vie depuis son enfance, quand sa mère Mariko et lui s’installèrent dans une église-orphelinat. On voit comme il a souffert d’être né sans père et de voir sa mère triste. Puis un jour, un homme, Kenji Takahashi, a demandé sa mère en mariage, et là leur vie a été beaucoup plus heureuse. Mais comme pour les personnages du tome, les secrets de chacun sont bien lourds à porter.
Tsubame (= « hirondelle »). C’est au tour de Mariko, la mère de Yukio, de passer sous la plume d’Aki Shimazaki. L’auteur en profite pour nous faire découvrir également une page sombre de l’histoire du Japon. Mariko n’est pas née au Japon, c’est une Coréenne qui s’est installée là-bas avec sa mère, où elles vivent dans la pauvreté. En 1923, le quartier de Kanto a été dévasté par un séisme causant des centaines de milliers de morts. Les Japonais ont alors accusé les Coréens d’empoisonner l’eau des puits et de piller les richesses des pays. Alors ils ont commencé à les exécuter, hommes, femmes et enfants. La mère de Mariko a voulu la protéger en lui donnant un nom japonais et en la confiant dans une église-orphelinat (la même que dans le tome 2), où elle devait garder le silence pour ne pas dévoiler son accent étranger. Maintenant à la fin de sa vie, Mariko revient sur son passé et sur les secrets qui entourent sa naissance.
Wasurenagusa (= « myosotis »). Quelle vie toute tracée pour Kenji Takahashi ! Fils unique et héritier d’une famille noble, riche et ancestrale de Tokyo, on lui trouve une jolie jeune femme à épouser, d’un bon parti. Mais aucune grossesse ne vient. La pression familiale est très forte et force Kenji à divorcer, sous prétexte que c’est l’épouse qui est stérile. Mais plus tard, il apprend que son ex-femme est remariée et qu’elle a eu un fils. Alors c’est lui qui est stérile, finalement ! Son monde s’écroule, comment perpétuer le sang familial dans ces conditions ? Heureusement, Sono, sa nourrice, est toujours là pour le réconforter et lui souffler de sages conseils. Il s’abrutit au travail, mais un jour propose son aide bénévole dans une église-orphelinat (toujours la même !), et tombe follement amoureux de Mariko ! Il l’épouse et adopte son fils, contre l’avis de ses parents. Ils mènent une vie calme et heureuse, mais dans sa tête trotte toujours le souvenir de Sono. Lui aussi va se pencher sur les secrets qui entourent sa famille et son origine.
Hotaru (= « luciole »). On passe dans l’esprit d’une jeune étudiante, fille de Yukio et petite-fille de Mariko (vous me suivez ?), qui s’appelle Tsubaki (comme le titre du tome 1, « camélia »). Ainsi la boucle de la pentalogie est bouclée ! La santé de Mariko, vieille dame maintenant, se dégrade de plus en plus. Elle a 84 ans et décide de raconter ce qui lui pèse sur le cœur depuis tant d’années. Elle va lui raconter à quel point sa beauté et sa naïveté lui ont fait du tort, elle va lui raconter « l’histoire d’une luciole tombée dans l’eau sucrée »…
Ces textes, très courts, sont construits à la fois séparément et conjointement aux autres. C’est très spectaculaire, surtout quand on lit les 5 d’affilée. Toutes les informations se croisent, tous les secrets sont plus bouleversants les uns que les autres, les dialogues se répondent à la virgule près…Aki Shimazaki a fait un travail de dentellière, tout est ciselé à la perfection, il n’y a pas un mot en trop.
Les thèmes qu’elle aborde sont divers mais très profonds : le temps qui passe, le destin, l’amour, les signes, la beauté de la nature, l’histoire et surtout les périodes sombres du Japon.
Vous l’aurez compris, j’ai a-do-ré ! Je vous recommande très chaudement la lecture de ces petits ouvrages !
A bientôt !
Bérengère