lundi 16 décembre 2013

Femmes écrivains au Japon (1/3)


J’avoue, le Japon me fascine. Sa culture, cette application dans la présentation plus que dans le contenu, la forme plus que le fond, la littérature… Au Japon, la tradition « semble » côtoyer la modernité sans heurts. Pourtant, lorsque l’on creuse un peu, c’est bien plus complexe.
La place des femmes dans la société japonaise n’est pas aisée. Leurs projets d’avenir, pour beaucoup, restent le mariage et surtout les enfants. Une vie professionnelle en parallèle ? Mmh, pour de nombreux chefs d’entreprise, il ne saurait en être question d’où une propension accrue de femmes japonaises sans enfant et donc une chute de la natalité. Ce qui m’amène à vous parler des auteures japonaises.
 Tout le monde, plus ou moins, a entendu parler de Haruki Murakami, succès planétaire de 1Q84 et adaptation cinématographique de son roman la Ballade de l’impossible aidant. Sachez qu’à la même époque (1987) où est paru ce dernier, succès prodigieux de Murakami, une jeune femme perçait et révélait au Japon qu’une nouvelle forme de littérature était en train d’émerger… Son nom ? Banana Yoshimoto. Son livre ? Kitchen.

Roman étrange, tout en en introspection, où le quotidien côtoie le merveilleux et la poésie. L’héroïne vient de perdre sa grand-mère et ne trouve de réconfort que dans les cuisines et les plats qu’elle confectionne. Elle est recueillie par un ami dont la mère est en réalité le père du jeune garçon, travesti.
  Dans la seconde novella (roman court) qui suit Kitchen, une jeune fille perd l’homme qu’elle aime et  la course à pied devient son unique moyen d’oublier son chagrin l’espace d’un instant. Vous l’aurez compris, le thème de prédilection de Banana Yoshimoto est le deuil et les réactions de ses personnages pour le surmonter… ou pas.

Banana Yoshimoto, fille d’un poète et philosophe réputé au Japon, Takaaki Yoshimoto a reçu pour ce premier roman le prix « jeune talent » de la revue littéraire Kaien. Elle a alors 23 ans et Kitchen s’est vendu à 2.5 millions d’exemplaires au Japon. Pour de nombreux critiques littéraires, les romans de Banana Yoshimoto et de Haruki Murakami sonnaient le glas de la littérature « pure » et amorçaient un mouvement  centré sur le « je » narcissique, sans la dimension politique ou historique qu'affectionnaient les auteurs d’après-guerre. Ils vont jusqu’à les comparer au manga, type populaire par excellence ! Pourtant, cette mise en relief du quotidien et de son impermanence fait écho chez les lecteurs qui, eux, les ont plébiscités ! Kenzaburõ Õé, prix Nobel de littérature en 1994, souligne cette évolution dans ses mémoires comme suit : "Ma façon d'écrire, c'est-à-dire dans un style propre à la langue écrite, est devenue dès lors un style ancien et les deux écrivains que sont Murakami Haruki et Yoshimoto Banana ont commencé à créer une nouvelle écriture de l'oralité."
 Lorsqu’en 1993, Kitchen est traduit en anglais et parait aux Etats-Unis, le New-York Times s’exclame « Quelle clairvoyance ! Quel extraordinaire don pour exprimer les sentiments humains ! » Un critique japonais parle alors d’universalité car Banana Yoshimoto peut être comprise partout quant à la place de la technologie dans notre monde moderne et l’éphémère qui la caractérise. Bref,  le succès mondial de l’OVNI Yoshimoto reste un mystère pour les chantres de la littérature japonaise mais moi, modeste lectrice que je suis, je suis tombée amoureuse des personnages et des histoires de cette auteure, de cette étrangeté qu’elle révèle chez l’individu et de l’impermanence qu’elle souligne avec tant de délicatesse.

« Je crois que j’aime les cuisines plus que tout autre endroit au monde.
Peu importe où elles se trouvent et dans quel état elles sont, pourvu que ce soient des endroits où on prépare des repas, je n’y suis pas malheureuse. »

Maud
PS : Les citations proviennent de l'ouvrage : « Ecrire au Japon : le roman japonais depuis les années 1980 » de Mariko OZAKI, traduit par Corinne Quentin chez Philippe Picquier